Emmanuelle Galivarts
En ce début d’année 2025, nous avons impulsé la création d’un collectif pour donner une suite au projet de formation et de médiation numérique Influen’scène que nous avons porté aux côtés de 12 théâtres sur les saisons 22/23 et 23/24. Influen’scène a grandi et c’est aujourd’hui un collectif d’une dizaine de créateur⸱ices de contenu qui porte une parole engagée et diverse pour et depuis le spectacle vivant.
Nous leur donnons la parole.
Présentation
“Enchantée, je m’appelle Emmanuelle. Mon parcours est un peu étonnant pour beaucoup de personnes, mais il tourne toujours autour du corps, des arts et du vivant. J’ai été guidée très tôt par la danse et le cirque, deux disciplines qui ont beaucoup nourri mon chemin. En parallèle, j’aime profondément les gens, leur diversité, leurs histoires, alors je me suis aussi formée en anthropologie, en yoga, en événementiel… Le mélange de ces intérêts et ma passion pour le spectacle vivant, c’est ce qui m’a poussée à créer du contenu.
YouTube comme réponse à une passion débordante
J’ai toujours aimé parler de spectacles, de ce qu’ils racontent, de ce qu’ils soulèvent, et un jour ma famille, très gentille, mais un peu fatiguée de cette quasi obsession m’a dit : « Tu veux pas en parler à des gens que ça intéresse vraiment ? ». YouTube m’attirait depuis longtemps : j’aimais cette idée de partage, de communauté, d’échange avec des inconnu·es réunis par la même curiosité. Sauf qu’en ligne, je trouvais peu de personnes qui parlaient de ce qui me touche : le cirque, la danse contemporaine, les enjeux qu’ils soulèvent. On était chacun·e dans notre coin, alors qu’en vrai, on est nombreux·ses ! Je ne savais pas trop si j’étais légitime, j’ai demandé à mes anciens enseignant·e·s chercheur·euse·s leurs validations (qu’ils m’ont donné·e·s, merci au passage), puis j’en avais envie, alors je me suis lancée, pour le plaisir de partager, d'apprendre, de créer.
Explorer, sans juger
Au départ, je ne parlais pas trop de spectacles récents, notamment parce que beaucoup de mes ami·e·s étaient encore en formation ou débutaient leur carrière. Je n’avais pas envie d’avoir le rôle de critique ou de vitrine de leurs créations. Alors j’abordais plutôt l’histoire du cirque, de la danse, j’essayais de faire découvrir des univers avec différents formats. Depuis quelque temps, j'ouvre de nouvelles portes : je fais pas mal de vlogs où j’emmène les gens voir des spectacles avec moi. Je me renseigne souvent avant : sur la compagnie, le travail, le contexte. Ça m’aide et je me dis que ça peut aider aussi d’autres personnes qui, comme moi, sont parfois un peu anxieuses face à l’inconnu. J’ai aussi commencé à faire des vidéos de recommandations culturelles (livres, musiques, etc.) et j’aimerais revenir à des formats plus profonds, plus documentés, sur des questions sociales, historiques ou politiques liées au spectacle vivant, mais ça demande beaucoup de temps et d’énergie.
Une communauté riche et variée
Les gens qui me suivent, à chaque fois qu’on se rencontre, j'ai envie de prendre un café avec eux. C’est des humains hyper intéressants, curieux, bienveillants, avec qui on peut vraiment discuter et qui m’apprennent toujours d’une manière ou d’une autre. Certain·e·s ne viennent pas du tout du monde culturel, par exemple, il n’ y a pas longtemps j’ai rencontré une abonnée bénévole à Utopia 56, qui est ingénieure dans le médical. Puis d’autres sont danseur·euse·s ou professionnel·le·s du milieu. Paradoxalement, c’est souvent eux qui ne prennent pas toujours le temps d’aller voir des spectacles. Dans tous les cas, pour le moment je suis fan des personnes qui font vivre ce projet de chaîne Youtube, compte Instagram, c’est vraiment avec eux que ça se construit.
Ça c’est un peu le point fort, les humains, mais la communication en soi, les titres, les miniatures, le plan de communication, on ne va pas se mentir, je pense que ce n’est pas ce dans quoi j’excelle à la base. Je n’ai pas une stratégie hyper rodée, mais je rencontre de plus en plus de gens qui m’aident à y voir plus clair et ça me fait progresser. Parler de spectacles, aujourd’hui pour moi c’est plus simple : c’est de la médiation, quelque chose de vivant. J’aime poser des questions, confronter des points de vue, chercher des liens avec d’autres sujets, un peu comme un travail universitaire, mais en plus personnel. Je me suis aussi fixée des règles sur ce que je veux (ou pas) partager, pour rester dans une démarche éthique, inclusive, respectueuse.
Une autre façon de parler du spectacle vivant
Les gens qui travaillent dans le spectacle vivant depuis dix, quinze ou vingt ans me disent « finalement, c’est une nouvelle forme de média ». Et c’est vrai que c’est un peu ça, c’est un peu le « Télérama d’aujourd'hui » ! Avec un nouveau format, mais aussi avec ses propres avantages et inconvénients. On assume plus facilement d’avoir des points de vue personnels. Je prends l’exemple de Télérama, car récemment, une spectatrice à un concert m’a dit qu’elle allait voir tout ce que Télérama conseillait, j’ai trouvé ça fou et génial à la fois. Mais donc sur ce format, on pense moins facilement que c’est une personne en particulier qui écrit.
Sur les réseaux, souvent on suit des gens, pas juste une ligne éditoriale. C’est une force et parfois une faiblesse. Mais je pense que ça crée une autre forme de lien avec le public. Et c’est aussi ce que recherchent beaucoup de théâtres aujourd’hui : des incarnations sincères, qui donnent envie.
Le collectif Influen’scène, un espace de soutien
Le collectif Influen’scène, m’a clairement permis de me sentir moins seule. On a tous·te·s plus ou moins des réflexions communes et c’est super de pouvoir échanger avec des gens autour de ça. Le collectif est assez naissant donc tout est encore à créer, mais c’est hyper chouette d’être dans cet élan de créativité, de soutien et de motivation, ça donne plein de perspectives !
Un engagement politique par la création
Ce collectif est né aussi d’une forme d’engagement politique et à mes yeux tout est politique. Ce qu’on choisit de faire, de ne pas faire, de dire, de taire… ça raconte quelque chose. J’ai de la peine à aller dans les manifestations, mais je crois qu’il y a plein de manières de militer. Déjà prendre le temps de discuter, d’échanger, de parler des sujets parfois plus compliqués, écouter différents points de vues, chercher différentes sources, tout ça a une forme d’impact non négligeable selon moi. Je lutte au mieux contre le harcèlement, notamment dans les milieux professionnels. Les discriminations me rendent malade, donc je mets tout ce que je peux en place pour favoriser l’inclusivité, par exemple en présentant des alternatives de pointes et chaussons de danse pour les danseur.euse·s qui n’ont pas la peau blanche.
J’essaie d’apporter plein d’éléments de discours qui me semblent évidents, mais ne le sont pas pour tout le monde. Simplement, entre autres, garder la bienveillance comme cap.
Réagir sans haine face aux polémiques
Aux Jeux-Olympiques par exemple, il y a eu plusieurs vagues de harcèlement envers des danseur.euse·s, par des non-danseur·euse·s, mais aussi des danseur·euse·s ! Pour moi, c’était inacceptable, on peut être déçu, en colère, avoir de fortes émotions, mais rien ne justifie de harceler des gens pour avoir dansé, même quand ce n’est pas à la hauteur de nos attentes. J’ai fait une vidéo pour expliquer un peu les enjeux derrière une des chorégraphies qui a particulièrement fait parler, et les ressorts derrière cette vidéo de danse.
Démystifier les créateur·ice·s de contenu
Ça fait partie des valeurs qu’on défend avec Influen’scene aussi. Un collectif pour des gens qui créent du contenu sur Internet, ça paraît un peu à contre-courant, ou en tout cas ce n’est pas ce qu’on imagine des créateur·ice·s de contenus. J'espère qu’il y aura un impact collectif positif, presque pour donner tort aux gens.
Ce milieu de création de contenu ne se résume pas à se descendre les un·e·s les autres, on a envie de montrer qu’on peut s’entraider et trouver des solutions pour avancer ensemble. L’aspect collectif résonne aussi avec les valeurs du spectacle vivant, notamment le cirque, où une des citations qui revenait souvent était « tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Une partie des gens du spectacle vivant ont aussi beaucoup de stéréotypes sur les créateur·ice·s de contenu.
Il y a quelques années, je suis allée voir un spectacle de cirque contemporain, et on nous avait proposé de rencontrer les artistes en tant qu’influenceur·euse·s. Les circassiens n’étaient pas vraiment enthousiastes à l’idée d’échanger avec nous. Puis quand on s’est vu, c’était très drôle, puisque j'avais fait un stage de bascule coréenne avec eux il y a plus de 10 ans, là où je me suis formée en cirque. Ils imaginaient rencontrer des personnes superficielles, pas vraiment passionnées, mais ils ont reconnu s’être bien trompé sur le coup.
Un pont entre spectacle vivant et numérique
Autour de moi, parmi mes ami·e·s artistes, il y a beaucoup de gens qui ne sont pas du tout sur les réseaux sociaux, qui vont sur YouTube seulement pour regarder des tutos pour monter des meubles. Pourtant, les théâtres, les compagnies et les structures culturelles ont besoin et envie de se renouveler, de comprendre comment ces plateformes fonctionnent, comment on peut y raconter le spectacle autrement et trouver une forme de créativité aussi dans cette partie du travail.
Déconstruire les clichés sur les contenus en ligne
Mais c’est sûr qu’il y a un a priori. Quand tu ne connais pas cet univers, il y a beaucoup d’échos et de stéréotypes sur la « culture du vide ». C’est vraiment pour moi un mélange de réalité, mais aussi d'ignorance, de peur du changement et d’égo, avec une méconnaissance des codes qui sont hyper pénibles à comprendre (quel format pour quelle plateforme, quel public, quelles dimensions, quelle fréquence etc). Il y a plein de barrières qui sont installées, donc c’est cool de pouvoir petit à petit avancer là-dessus, mais je pense qu’il va y avoir pas mal de travail.
Une pluralité de voix pour rassurer et inspirer
Le collectif permet d’être en unisson sur ce sujet, pour montrer à plusieurs voix qu’on est là pour relayer ce qu’on aime. Le fait qu’on soit plein de personnes différent·e·s, venant d’endroits différents, avec des médias différents, avec des voix différentes, ça peut être rassurant pour les théâtres.
Rémunérer le travail de création : une urgence
Le nerf de la guerre, c’est aussi la rémunération. Tout ce qui touche à l’argent et au capitalisme est compliqué dans le milieu de la culture, alors que c’est tellement plus facile quand on a des sous pour avancer. Il y a des budgets pour des affiches ou des flyers, mais rarement pour des contenus créatifs qui pourraient donner envie d’aller voir un spectacle. Et on reçoit énormément de demandes non rémunérées. Parfois j’ai envie de les accepter, mais je dois aussi manger et payer mon loyer.
Pour avancer sur ce sujet, c’est sûr qu’il faut un travail de médiation, montrer qu’on n’est pas des opportunistes qui ne connaissent rien au pestacle. Il y a tout ce travail à faire, mais ça donne envie de travailler main dans la main, pour ne pas être juste un panneau publicitaire pour les théâtres.
J’espère que le travail qu’on fait tous·te·s ensemble avec le collectif va pouvoir faire avancer les choses de ce point de vue là. Parce que parfois, quelques mots sur Internet peuvent vraiment changer le rapport d’une personne au spectacle vivant. J’ai eu des retours de gens qui, après avoir vu mes vidéos, ont commencé la roue Cyr, sont entré·e·s dans une école de danse, ou une compagnie. Ça, je ne l’avais pas du tout anticipé et je trouve ça fou !
La curiosité comme moteur
Ce que j’essaie de faire, en vrai, c’est de valoriser la curiosité. Quand j’étais petite, certaines personnes me disaient que c’était un défaut. Moi je trouve que, bien placée, c’est une qualité magnifique. J’ai envie de créer un espace pour les curieux·se·s, pour apprendre, découvrir, se laisser surprendre.
Une vocation née d’un coup de foudre
J’ai commencé la danse vers 13 ans, et ça a été le coup de foudre. Je ne voulais pas en faire mon métier, mais je ne pouvais plus m’en passer. Après le brevet au collège, je voulais arrêter l’école, je détestais l’idée d’être assise des heures à écouter des personnes sur des sujets dont on se fiche pour une partie. Mes parents m’ont trouvé une filière cirque, et ça m’a sauvé, ça m'a permis d’aller au lycée et de le traverser avec bien plus de joie. J’avais déjà un pied dedans, on allait voir des spectacles en famille depuis toute petite, j’avais commencé le cirque depuis 1 an, et je faisais de la danse. Après le bac j’ai vu qu’une licence danse et cirque s’était ouverte, on aurait dit qu’ils l’avaient créé pour moi, donc j’y suis allée, en complétant avec une spécialisation en événementiel, et une formation pro en danse.
Cirque dans la tête, danse dans le corps
La danse et le cirque ont une grande place dans mon cœur, aujourd’hui, je crois que l’univers du cirque me parle plus de manière générale, mais c’est la danse qui résonne le plus dans mon corps.”
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