Nicolas Comby - Foulouc
En ce début d’année 2025, nous avons impulsé la création d’un collectif pour donner une suite au projet de formation et de médiation numérique Influen’scène que nous avons porté aux côtés de 12 théâtres sur les saisons 22/23 et 23/24. Influen’scène a grandi et c’est aujourd’hui un collectif d’une dizaine de créateur⸱ices de contenu qui porte une parole engagée et diverse pour et depuis le spectacle vivant.
Nous leur donnons la parole.
Présentation
Moi c’est Nicolas Comby, Foulouc sur internet. Dans la vie je suis administrateur de compagnies artistiques. J’ai commencé en 2019 où j’étais à la co-direction d’un collectif d’artistes jazz et pluridisciplinaire qui s’appelait le collectif La Boutique, qui faisait à la fois du projet en jazz et en classique et avait un petit lieu qui s’est ensuite transformé en festival hors-les-murs. Je m’occupais à la fois des projets des artistes et de ce festival. Le collectif s’est arrêté en septembre 2024. Maintenant, je suis passé en format intermittent où j’accompagne plusieurs équipes, notamment la compagnie Les Voix Élevées (théâtre musical) ou la compagnie Les Incendiaires.
L’influence de la culture Internet
À côté de ça, j’ai toujours eu un attrait pour la culture internet, les jeux vidéos notamment par Twitch et Youtube qui sont un peu des endroits refuges pour moi. J’ai toujours eu un comportement passif par rapport à cette culture. Ce qui m’a mis le pied à l’étrier est mon mémoire de recherche, que j’ai fait à l’EHESS sur l’utilisation de la vidéo dans la mise en scène théâtrale. Mon terrain de recherche était principalement sur les captations. Je me suis rendu compte qu’évidemment ça ne remplaçait pas d’aller au théâtre mais que c’était une chouette ressource pour rendre accessible le spectacle vivant et je me suis dit « pourquoi pas proposer ça sur internet ». J’étais très intéressée par le format Twitch, le format live qui permettait beaucoup de libertés là-dessus et je voyais que la création de contenus en spectacle vivant de manière générale n'était pas très investie et encore moins sur Twitch. Alors une fois par semaine je me suis mis à regarder une captation de spectacle et à inviter les gens à regarder avec moi.
Rendre le spectacle vivant accessible autrement
Pour moi le principe c’est de proposer une première expérience de spectateur au public du numérique, en tout cas aux personnes qui ne pensaient pas au départ être intéressées par le spectacle. C’est sur cette démarche là que j’ai commencé en 2021 puis en 2023 je me suis mis au format court qui permettait d’autres manières de créer. Ça touche différents publics aussi et permet de se placer à ce croisement entre culture numérique « populaire » et culture spectacle vivant plus « élitiste ».
Un mur à franchir
Ma vision de la relation avec les publics, je pense qu’il y a énormément de bonne volonté mais il y a un vrai mur très difficile à passer : cette première expérience de spectateur·ice. Si on n’est pas né·e dans un contexte qui favorise la découverte de ces arts là, qu’on a pas été accompagné·e durant sa scolarité, c’est super difficile de faire cette démarche là. C’est très intimidant de passer les portes d’un théâtre, sans être même sûr·e d’aimer. En plus le spectacle vivant est très exigeant, c’est rester plusieurs heures assis·e, potentiellement se faire chier parfois. C’est cette limite là que j’ai constatée. Malgré ça, beaucoup d’efforts sont faits avec les chargé·s des relations publiques qui sont d’ailleurs surchargé·s de travail. C’est pour ça que j’essaie de me placer à cet endroit là, de faire avancer les choses à ma petite place, d’apporter quelques rouages qui manquent.
Médiation VS communication : deux rôles complémentaires
Au premier abord, les frontières entre médiation et communication peuvent sembler assez poreuses, pourtant c’est deux métiers qui n’ont pas les mêmes objectifs. Mais dans la création de contenu, on fait les deux. C’est aussi une médiation qui joue le jeu des règles des algorithmes de la communication. C’est une médiation qui peut être presque vidée en un temps très court qui doit accrocher les gens. Il faudrait donc vraiment creuser cette possibilité de l’appui des chargé·e·s de communication sur les créateur·ice·s de contenu qui font la transition entre médiation et communication, pour ensuite passer la main aux chargé·e·s de médiation qui vont ensuite faire un travail plus approfondi.
Dans l’idéal, si on veut vraiment faire une stratégie d’ouverture pour aller vers les différents publics, il faut vraiment avoir un projet global. Je vois les choses de manière tripartite. Je vois à la table à la fois les RP, les chargé·e·s de communication et les créateur·ice·s de contenu qui vont mutuellement s’apporter des choses et vraiment se compléter. Un aspect peut-être un peu bureaucrate dans des grosses structures peut cloisonner les relations entre les différents services.
Le numérique fait encore peur
J’ai l’impression qu’il y a encore cette peur et méfiance du numérique pour les gens qui viennent du spectacle vivant, même de ma génération. Une peur que plus les gens verront du théâtre sur internet, moins ils iront en voir en vrai, alors que j’ai la vision complètement inverse, c’est en tout cas mon parti pris. Je pense qu’il y a un vrai virage à avoir au niveau des institutions, autant qu’une vraie question de moyens financiers pour les structures qui essaient de prendre ce tournant.
Ramener du sens démocratique au spectacle vivant
J’essaie vraiment de me placer à l’endroit de ramener le théâtre sur un aspect démocratique et de retrouver du sens et de l’utilité au spectacle vivant, qui est un peu éclipsé par tous les médias audiovisuels - ce que je ne vois pas d’un mauvais oeil - mais un vrai retard a été pris là-dessus. Je refuse de croire que le spectacle vivant n’intéresse plus personne, je crois surtout qu’il est en train de prendre du retard sur le média numérique et la rapidité de l’information qui est véhiculée.
Mon objectif c’est vraiment ça, de ramener le spectacle vivant sur ce média là en mettant à profit mes connaissances et mon expérience, en refusant le cloisonnement. Ce travail de démocratie c’est aussi de dire que la culture numérique n’est pas inintéressante et à l’inverse, le spectacle vivant a un aspect élitiste ou en tout cas exigeant, mais peut aussi être accessible et hyper intéressant. Il faut une remise en dialogue de ces différentes cultures et différents publics.
Twitch : un rendez-vous culturel hebdo
Je me suis un peu mis sur Twitch car je n’ai trouvé personne qui s’y intéressait. Quelques théâtres notamment d’impro s’y mettent, ou le cabaret Madame Arthur par exemple, mais c’est très ponctuel. L’aspect rendez-vous est très peu vu, on est plutôt sur des temps forts. Ce format de rendez-vous permet de fidéliser les personnes. J’arrive sur un terrain qui est pas du tout gagné d’avance.
A l’origine, pour faire un bref historique, Twitch a commencé au milieu des années 2010 en étant très ancré dans la culture du jeu vidéo et e-sport et consistait principalement à diffuser leurs parties de jeux vidéos.
Petit à petit, ça s'est démocratisé avec des dessinateurs ou musiciens qui ont pas mal fait bouger les lignes car c’était alors interdit de faire ça. Au vu du nombre d’arrivant·e·s et de la diversification des pratiques, Twitch a changé sa réglementation. Ce qui marche le plus aujourd'hui sur Twitch c'est le format « discussion ». Le vrai boom a été en 2020 avec les confinements où beaucoup de carrières se sont lancées et où le format s’est vraiment démocratisé auprès des publics.
La communauté Twitch est super bienveillante mais la culture jeux vidéos reste néanmoins omniprésente. Des médias s’y sont déjà essayés avec un format « TV » qui ne fonctionne pas du tout.
Voir un spectacle ensemble : une nouvelle manière de vivre le théâtre
Ce que j’aime aussi sur Twitch c’est l’aspect direct et de voir un spectacle ensemble. Ça change aussi la pratique du spectacle vivant dans le sens où quand on est en salle, on suit le spectacle de manière individuelle. Ici, sur Twitch, c’est une pratique communautaire. On assume complètement le fait d’en discuter ensemble, en direct, pendant que ça se passe. Parfois on décroche complètement, on s’intéresse plus aux décors, aux costumes, pour raccrocher à nouveau. C’est un moment de partage super que j’aime beaucoup, avec un aspect horizontal et non pas vertical.
Une communauté à taille humaine
Il y a deux exemples de personnes qui viennent régulièrement, dont une personne qui ne connaissait pas du tout le spectacle vivant qui est tombée sur mon live et a complètement accroché à l’ambiance décontractée. C’est ce que je cherche à garder : dédramatiser le spectacle vivant. Maintenant cette personne a commencé à aller voir du théâtre grâce à ces streams car ça lui a donné envie. De l’autre côté, il y a le régisseur vidéo du Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. On s’est retrouvé à parler d’un spectacle ensemble et je suis hyper fier d’avoir créé cet espace là. Le revers de ça c’est qu’il ne faut pas croire qu’il y a des centaines de personnes qui viennent me voir. C’est une pratique dans un espace pas du tout fait pour ça. J’ai des moyennes de cinq personnes présentes sur tout le live. Je suis quand même content de récupérer des gens à cette petite échelle, ça ne peut aller qu’en grandissant.
Faire le lien entre publics numériques et publics traditionnels
Au-delà de démocratiser le spectacle vivant pour le public numérique, j’aimerai bien aussi amener les gens pas habitués au format numérique et les amener à d’autres pratiques, ça va dans les deux sens.
Donner la parole : des invités du secteur culturel
Il y a aussi l’aspect invité pour faire parler des professionnels de leur travail sur un temps long. J’ai invité notamment les metteurs en scène avec qui je travaille et la chargée de programmation en Île-de-France des Concerts de Poche. J’ai aussi invité KeskonvavoirCam et Emmanuelle Galivarts du collectif Influen’scène ainsi que Laetitia de 3615 Reco à parler de la création de contenu. C’est un format hyper libre, où on y fait ce qu’on veut.
Redémocratiser le théâtre : casser les codes, libérer la parole
Il y a une codification selon chaque genre artistique, selon les styles artistiques et des règles assez intimidantes dans le milieu du spectacle vivant, qui sont différentes selon le théâtre public, privé, etc.
Pour le théâtre ça date du 19ᵉ siècle et de l’affirmation d’un théâtre bourgeois avec des règles qui permettent de se différencier des autres et de différencier les classes sociales. Le théâtre était beaucoup plus populaire et festif avant, c’était moins sacralisé, pour le meilleur et pour le pire. En tous cas, j’ai tendance à vouloir créer cet espace là pour être un endroit pour discuter sans déranger les gens qui jouent et les personnes qui veulent suivre.
Cet endroit-là est aussi une manière de redémocratiser le spectacle vivant, comme ce qu’on veut faire dans le collectif en se mettant au même niveau en pouvant discuter, commenter ce qu’il se passe et avoir des réflexions dessus. Le format Twitch permet ça.
Twitch comme laboratoire : tout reste à inventer
C’est aussi une forme de bouteille à la mer pour inciter les gens et les structures à investir cet espace là. Je suis persuadé qu’il y a plein de choses à y faire, même des tas de choses auxquelles je n’ai même pas pensé en termes de médiation notamment. Il y a tout à faire. L’idée d’investir cet endroit là est peut-être aussi une manière de montrer l’exemple en quelques sortes. Il y a plein de formes à créer, c’est encore soit trop timide soit au contraire avec trop de budget et d’attentes. Il n’y a pas assez d’essais de petites choses pour faire ces changements là. Il y a des choses qui ont été créées pendant le covid, notamment en médiation avec de vraies bonnes idées et du budget qui se sont évaporés, ce qui est dommage. Je pense que ça peut se nourrir l’un l’autre, sans faire tout l’un ou tout l’autre mais de manière transversale.
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